Parlons la mort. Des mots pour mieux la vivre
Table ronde du jeudi 29 novembre 2018 à l'UCLY
Campus Mérieux
Préambule par
Christian de Cacqueray, l'animateur de la rencontre
1) La mort n’est pas
la négation de la vie, mais elle en est l’aboutissement ; 2) ce
qu’elle a de réellement humain, c’est qu’elle est affaire de conscience ; 3) cette mort consciente est affaire de parole ; 4) cette mort
consciente est devenue un grand problème dans nos sociétés, un des derniers
interdits.
Parler la mort est
devenue une langue étrangère.
Dans la préface
de : La mort intime de Marie de Hennezel, François Mitterrand
disait à peu près ceci: "Jamais peut-être, le rapport à la mort a été si pauvre qu'en ces temps de sècheresse spirituelle où les hommes pressés d'exister paraissent éluder le
mystère. Ils ignorent qu’ils tarissent ainsi le goût de vivre d’une source essentielle".
JMG. Frère Jean-Marie
Gueullette, O.P . Médecin et théologien à l’UCLY, directeur du Centre
Interdisciplinaire d’Ethique
JPV. Docteur
Jean-Pierre Verborg, médecin en soins palliatifs, Président de l’association In
Fine.
YDP Yves du Plessis,
Président de l’association Albatros.
AL. Anne LIU, Maître
de conférences à l’UCLY. Auteure.
MGR G. Emmanuel
Gobilliard évêque auxiliaire de Lyon.
Frère Jean-Marie
Gueullette
Il y a un effacement des rites aujourd’hui, mais un jeune de
20 ans a vu des milliers d’images de morts dans sa vie. Actuellement, on attend
35, 40 ans pour voir son premier mort. Le fait que la salle soit pleine montre
que ce sujet n’est pas tabou. La mort
fait partie de la vie. Donc, on ne peut pas dire qu’il y ait un déni de la
mort, un tabou. Mais aujourd'hui, on est démuni dans ce qu’on peut
faire.
Cela fait des siècles que l’on fait des récits sur la mort.
Chaque culture évoque « la bonne mort » et essaye de se dépatouiller
avec la mort. Les soins palliatifs sont actuellement le beau rêve de « la
bonne mort ». Actuellement, 2% meurent en soins palliatifs.
Il rappelle suite à Mgr Gobilliard, le rapport SICARD :
Il n’est pas envisageable de penser l’être humain en tant qu’individu. L’homme
est en relation et c’est essentiel. (Voir le philosophe Emmanuel Lévinas).
L’église est le lieu de la communauté chrétienne. Et il ne doit pas y avoir de
lieux spécialisés pour la mort.
Le syndrome d’Alexandrine. Attention, la vérité sur une mort
qui approche doit être amenée progressivement, selon ce que le malade peut
entendre.
Emmanuel Gobillard
La mort est toujours le reflet de ce que vit la société. On
avance vers la mort avec une perte de contrôle et d’autonomie. La perte d’autonomie c’est la perte de
contrôle total. Aujourd’hui, on nous fait croire qu’on peut tout faire avec un
portable, et c’est faux. Image de la vulnérabilité. Actuellement, il y a un sentiment
d’immortalité de plus en plus médiatisé, car on guérit de mieux en mieux.
La mort est aussi un
rapport à la relation. Il y a beaucoup d’émotivité. Il rappelle ses rapports
avec son grand-père vieillissant et mourant et le fait qu’il soit froid et
qu’il courait autour du cercueil. On isole la maladie, la vieillesse, la
famille…
La pastorale des funérailles est coupée des autres pastorales et c’est
dommage. Dans l’église, il ne devrait pas y avoir de services de pastorale différente pour les funérailles, pour le
baptême, le mariage…( pas de pompe à essence !)
La société est devenue liquide. Moins de rapports avec les institutions.
Il a accompagné sur 4 ans, 250 malades du SIDA, tous athées. Il rappelle
aussi que parfois, il vaut mieux dire aux personnes : « oui, tu vas
mourir », si l’on connaît bien la personne. On peut d’ailleurs dire cela à
tout le monde !
Anne Liu
Etonnée du nombre de personnes venues à cette soirée.
« La mort fait peur » ; « elle est contagieuse. Une femme veuve fait peur
dans une soirée. « Oh, là ;
elle a perdu son mari » ; « elle va pleurer dans ma soirée et
elle va la plomber »… On l’invite
qu’avec des gens qui ont eu des problèmes.
C’est ainsi qu’elle a écrit. « L’écriture m’a fait
beaucoup de bien », « ça m’a permis de parler, de faire revivre celui
qui n’est plus là, de transmettre pour tous ceux qui liront mes livres »
Maintenant, le
médecin dit où en est la maladie. Avant, on mentait au malade. Pour son mari, pour elle et pour chacun de ses
enfants, la parole de l’oncologue et les
soins palliatifs leur ont permis de se préparer au décès. Même s’il était
difficile d’entendre ça, ses enfants n’ont pas regretté d’avoir été mis au
courant. Enfin, « on serait pris en charge ».
Il n’y a rien de pire que d’être dans l’évasion. A partir du
moment où l’on nous a dit qu’il n’y a plus de soin possible, pour elle et ses
enfants, il y a eu un soulagement. Alors, elle a pu parler de la mort avec son
mari.
Yves du Plessy
On accompagne la vie. Il y a réticence à parler de sa propre
mort. La salle est pleine avec très peu de jeunes. Il a 4 fils et ses fils
n’aiment pas parler de la mort. Auprès des personnes en soins palliatifs, il
essaye de parler de la vie. Les bénévoles d’accompagnement, réfléchissent sur
leur propre mort à travers une formation longue. Il faut qu’ils soient très à
l’aise avec ça.
Les directives anticipées. Encore peu de personnes les ont
écrites.
Quand la mort n’est plus très loin, les personnes voient
davantage la beauté de la vie.
Les soins palliatifs sont le luxe de l’accompagnement. Les
personnes sont formées avec des bénévoles formées aussi. Approche globale de la
personne et de la famille.
Bien souvent, il y a une négation, un déni de la réalité de
la part du malade ou de la famille. En tant qu’accompagnant, on respecte ça,
mais c’est difficile et on ne va pas pouvoir en parler.
Jean-Pierre
Verborg
La mise à distance de la réalité de la mort.
Quand on écoute les médias il existe deux sortes de mort : la mort catastrophe (attentat), et la
mort spectacle (Johnny Halliday). C’est tout sauf ce que sera notre propre
mort, pas de spectacle. Nous serons dans un lit d’hôpital, ce sera intime et
larmoyant. Nous ne sommes à TF1.
L’euthanasie c’est la maîtrise de tout, par le patient.
L’acharnement thérapeutique c’est la maitrise de tout par le médecin. Même
médaille recto verso de la maîtrise.
L’effacement de la
mort dans la société. François hollande qui va dans un service de soins palliatifs va rappeler tous les points
soulignés par la définition des soins palliatifs sauf la notion spirituelle.
On traite la douleur physique, la douleur sociale, la douleur morale. Il ne
parle plus de douleur spirituelle.
Rappel. Le soin
palliatif est défini par les Sociétés Savantes ( définition des
anglo-saxons):
Notion physique : la douleur, l’essoufflement, les
vomissements…
Psychique : la tristesse, la dépression, l’angoisse
Sociale : « que vont devenir mes
enfants ? »
Spirituelle : Que se passe-t-il après la mort? Que puis-je croire?
La dimension spirituelle a tendance à disparaître comme
l’indique la communication de F. Hollande. Cette case était celle de la
dimension chrétienne. La religion s’effondre et du coup, « parler la
mort » est devenue une langue morte.
Chaque culture essaye de trouver « la bonne
mort ». Actuellement, mourir en soins palliatifs serait « la bonne
mort ». Seulement 2% meurent en soins palliatifs.
Bien souvent, les gens n’entendent pas ce qu’on leur dit. Il
y a bien souvent un déni. Du coup on ne va pas pouvoir en parler. On a beau essayer d’aborder la vérité de la mort qui
approche avec le plus de délicatesse possible, on n’est pas toujours bien
entendu. La difficulté est d’amener les différentes personnes à être sur la
même longueur d’ondes. Mais les gens ne sont pas parfaits, nous sommes humains
et il faut respecter ce que le patient peut entendre. Il ne faut pas se leurrer, il y a des gens qui ne peuvent pas entendre
la vérité médicale. La vérité a fait beaucoup de progrès. Mais attention, le
patient va comprendre que la mort va arriver dans la semaine, la famille, dans
un mois, les enfants, dans un an… Donc, il faut s’adapter, en connaissant
la personne. Il faut les considérer comme des personnes encore en vie.
Maintenant, je risque la phrase à quelqu’un qui a une
personne en phase terminale: « Vous parlez de la mort ? »
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Les fins dernières
Quand on sonde les gens, on est dans un bricolage
eschatologique incroyable. Réincarnation, jugement…
JMG. Un truc à éviter : c’est la description. La foi ne
nous permet pas de décrire. Les chrétiens n’inventent pas du rêve. La foi nous
permet de dire qu’Il sera là ; que le Christ sera là. L’Alliance est
indestructible. Dieu ne peut pas nous
abandonner. La foi chrétienne ne nous dispense pas de la tragédie. Le Christ a
traversé la souffrance avec nous et l’a habitée dans la tristesse et l’agonie
(nuit de Gethsémani). Et puis, il y a la résurrection de la chair quand notre
être sera réunifié. Quand on accuse le christianisme de mépriser le corps, c’est
une erreur. Le corps ressuscité du Christ porte les stigmates.
Le Jugement. Mgr G. Tous, on a des
représentations symboliques dans la tête. Mgr Gobilliard a vu la mort de près.
Le feu sert souvent à décrire le purgatoire, l’enfer. Si Dieu est un feu, c’est
l’amour vrai. Son amour, sa présence, Thérèse de Lisieux : « un feu
débordant d’amour ». Le feu décrit une seule réalité : l’amour de
Dieu qui purifie.
Le jugement c’est la
relation et passer au crible. Si je passe au crible du cœur de Dieu, je vais
dans la miséricorde. Dieu nous dit : « ne jugez pas ».Deux mots
qui disent le jugement dans la Bible : Le jugement de Suzanne :
jugement à la manière humaine et la rencontre pour retrouver une relation.
Jugement et miséricorde.
Pour JMG, il ne faut pas évacuer la notion de jugement. C’est le business de Dieu.
YDP. « Les morts nous parlent » par le père Prune.
Mgr Aupetit. « Les expériences de mort imminente »
JPV. L’approche de la mort, la représentation de la mort
fait peur. La mort idéale :« Pourvu que ça m’arrive dans mon sommeil
et que je ne la vois pas arriver ».
AL. Le pardon entre deux personnes pour un manque
d’amour général. Ne pas rester dans l’idéalisation et ne pas oublier de le
faire quand on peut encore. « Pardonne-moi », pour un manque d’amour
général.
JPV. Les directives anticipées. Le texte est
libre. On doit écrire ce qui nous tient à cœur. C’est un droit et non une
obligation.
En général ce sont ceux qui ont eu un rapport difficile avec
la mort. Tous ceux qui écrivent leurs directives anticipées, en général,
déballent leur vie. Ils écrivent et souvent n’écrivent pas ce qu’ils ont
raconté.
« Je veux une
trachéo ou je ne la veux pas » ; je veux une perfusion sur le bras
gauche » ; « En cas d’accident cardiaque, je veux ou pas être
réanimée »… On peut modifier à tout moment, mais ce qui est écrit est
valable pour toujours. Attention, ce que l’on écrit aujourd’hui n’est pas
forcément ce que l’on voudrait quand on sera confronté à la mort.
Les directives anticipées sont un droit et non une
obligation. C’est valable pour toujours, mais on peut changer tous les 6 mois. La
situation est grave car on fait remplir ce papier en entrant dans une maison de
retraite, mais on n’y est pas obligé. A l’hôpital on le demandera aussi. Se trouver une personne de confiance qui
soit son porte-parole. C’est quelqu’un qui va être consulté par les
médecins mais qui ne prendra pas de décisions au nom du patient.
JMG. Le médecin est obligé de suivre les directives
anticipées. Il ne faut pas remplir ce papier en urgence, sur un coin de table.
JMG. Maladie de
dégénérescence. Alzheimer. Commission SICARD . Evocation de la mort
sociale. Sous prétexte que la personne n’est plus capable de relations, la société
peut le considérer comme mort ; Or, ils ont une place dans notre humanité.
« Sentinelles » évoquées par Jean Vanier. C’est alors la société qui
est mourante.
JPV. C’est la question du long mourir. Les aidants doivent être
aidés et ont aussi besoin d’être accompagnés. Comment la société va aider ces
familles qui doivent s’occuper d’une personne 24h/24?