Il était bel homme, aux yeux bleu pur, élancé sur son 1.85m. Toujours vif et à la marche rapide à tel point que, adolescente, je n'arrivais pas à le suivre à travers bois, dont ils connaissait toutes les essences. Intelligent, très intelligent d'une intelligence humble qui ne rabaisse jamais, qui élève; grand travailleur. Le travail, à la maison, était considéré comme une valeur et le repos du dimanche, un repos mérité et sacré.
Il savait tout faire.
Architecte dans l'âme, paysan de cœur, attentif aux autres, amoureux de belles choses, de la Grèce et de la Rome antiques, des églises et cathédrales, lecteur assidu de revues, journaux, livres. Sa vie a été ponctuée de bénévolats, d'engagements en tout genre. J'en ai hérité. Il savait aller voir la bonne personne, pour avoir de bonnes institutrices dans l'école primaire de la commune, chercher l'avocat pour régler un conflit d'assurances... On venait le chercher pour arranger des héritages, pour expertiser des champs de blé, de froment ou d'orge attaqués par la grêle...Il avait cré un rucher qui réunissait toute la famille quand il fallait "sortir le miel". Abonné à une revue d'apiculture, il soignait avec savoir-faire et savoir-être ses abeilles, ses ruches. Pendant l'hiver, il construisait ses ruches, ses hausses, ses cadres de cire que les abeilles façonneraient à leur manière. Extracteur, célificateur, couteau à désoperculer, seaux ou pot à miel, étaient soigneusement, lavés et remisés dans une chambre à part dans le grenier. Et on se délectait du miel qui coulait en accordéon dans les pots, ou du miel contenu dans de beaux paquets de brèches façonnées par les ouvrières. Parfois, on était piqués; et j'ai découvert que j'étais allergique aux abeilles! ça m'a fait pleurer, moi qui les aime tant. Souvenirs, souvenirs...OH! le grenier de mes parents! Quatre pièces : une chambre pour le miel où tout ce qui servait à la récolte était rangé, un pigeonnier que l'on nettoyait une fois par an et où nous allions voir, en cachette, les couvées de pigeonneaux, une chambre où pendaient jambons et saucissons de l'année. Ces trois pièces étaient un régal pour l'odorat avec des odeurs complètement différentes, mais époustouflantes, et qui me reviennent en mémoire même 50 ans après.
90 ans bientôt.
Il devenait vieux, mon papa. Mais il avait belle allure et toujours plein de projets pour chacun de ses enfants ou de ses petits-enfants. Sa mémoire fonctionnait bien. Il entendait moins bien. A la fin de sa vie, il lisait beaucoup, en particulier, la Bible et le journal "La Croix".
Mes parent avaient fait une donation-partage et j'avais eu droit à une grande maison en granite blanc restaurée par mon père, agréée et louée en gîte rural. 8 chambres 2 grands salons, 4 salles de bains. Mon mari n'étant pas bricoleur, je décidais de la vendre malgré mes hésitations. La décision avait été difficile à prendre. Maison en pierre, mon père avait tout conçu à l'intérieur, cheminées grandes tables en bois réalisées par ses soins, chaises créées par mon frère, lits à barreaux.....fauteuils....tout était fait main. Nous y avons passé des vacances superbes.
Ma maison fut vendue en deux lots en décembre 1997. Mes parents étaient contents. Ils avaient compris mon souci de me rapprocher de Lyon pour acheter une maison moins grande et plus simple. Trop d'espace à entretenir.
Nous étions en famille chez mes parents pour Noël 1997. Mon père, assis dans son fauteuil, lisait. Ma mère s'affairait pour le repas du soir. Je commençais à mettre la table avec mes enfants. 7 couverts. Nous bavardions, les uns les autres tranquillement. Conversations banales. Puis, j’entends mon père dire à ma mère, sur un ton badin.
- Hé, maintenant, nous sommes bien assez vieux. Nous pourrions partir tranquillement, vous ne croyez pas? (mes parents se vouvoyaient).
Et elle de répondre :
- C'est vrai, on est bien vieux mais on est en bonne santé, encore.
Ces phrases sont gravées à tout jamais dans ma mémoire. Étaient-elles prémonitoires? Je savais que ce dernier projet de vendre ma maison lui tenait à cœur. Il était soulagé de la vente rapide.
Trois semaines plus tard, Je fus réveillée par un coup de fil, à 5H du matin, un lundi. Mon frère. Une seule phrase : "Papa est mort", mon frère n'a jamais eu beaucoup de tact! même si enfant, je m'entendais bien avec lui. "Il n'a pas souffert; il est mort dans mes bras".
Que s'est-il passé? Ma mère m'a raconté. Le soir, Papy allait se coucher, avec une forte fièvre. Il avait, la gorge un peu prise, le nez bouché, le début d'une grippe. Elle fait une infusion de bourrache et de tilleul, efficace pour soigner une infection. Mamie demande à Papy :
- On pourrait faire venir le médecin?
- Non, car il va me faire hospitaliser, répond Papy.
Ils vont au lit et à 4H du matin, voyant son mari en transpiration, ma mère appelle son fils, mon frère, qui habite à 100mètres de venir l'aider à lui changer ses vêtements.
Mon frère arrive, le soulève puis ne sent plus son cœur battre.
Il s'en est allé, tranquille, un jour, avant ma fête.
Son ami, le vétérinaire, lui a rendu un merveilleux hommage. Je ne l'ai pas par écrit, mais j'en ai la chair de poule quand je repense à ce moment sur son lit de mort.
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