Nous sommes, étrangement le 8 mars 2017, jour anniversaire de mon père, décédé le 20 janvier 1998, neuf mois avant ma mère, un jour avant ma fête. J'en parlerai une autre fois.Clin d'oeil, clin Dieu!
C'était hier, et pourtant, 19 ans se sont écoulés.
Qui était ma mère?
Rosa, Juliette ou plutôt Rose née le 15 juin 1913. Ce prénom lui allait si bien, à elle qui aimait tant les fleurs, en particulier les roses parfumées et surtout les blanches. Un lys blanc exhalait son parfum au printemps dans le jardin déjà odorant de roses, de lilas. Et puis venait l'été et son allée magnifique de dahlias de toutes couleurs. Elle en avait une collection splendide. Ses préférés étaient les grosses boules au cœur blanc et dont les pétales se terminaient par un rose vibrant à la moindre lumière solaire. Les dahlias "pompon" qui faisaient de splendides et somptueux bouquets. Des écarlates, des jaunes d'or, des violets, des blancs immaculés, des orangés, des bi ou tricolores, en boule ou aux longues pétales savamment ébouriffés et, bien sûr, à leurs pieds, de belles fraises savoureuses. Une haie d'une trentaine de dahlias, un peu en hauteur, nous jaugeait et nous introduisait dans la cour sous le grand marronnier et le tilleul.
Mes parents avaient fait construire leur maison en 1939. Belle maison aux nombreuses cheminées, aux carrelages de grès cimentés aux dessins de l'époque. Plein sud avec balcon donnant sur le jardin potager et fleuri.
Revenons à ma mère.
Je n'ai jamais rencontré au cours de ma vie une personne aussi diplomate.
Son caractère. Jamais un mot plus haut que l'autre; jamais une critique déplacée envers une autre personne. En famille, seulement, elle se permettait de réfléchir et accuser le comportement de telle personne. Elle savait différencier le comportement de la personne et la personne elle-même et elle m'a appris à le faire. Elle était réservée.
J'ai toujours été subjuguée par son talent d'organisatrice de la vie quotidienne. C'était inné et c'était un don. Les repas, à l'heure, préparés toujours avec soin, équilibrés, avec des produits naturels souvent en provenance du jardin. Nous étions cinq enfants, avec ma grand-mère en plus, un berger souvent, un domestique. Des repas organisés avec des collaborateurs à la ferme familiale. Ça faisait vraiment beaucoup de monde à nourrir. Et puis, beaucoup de visiteurs, des syndicalistes, un député ( Je me rappelle, il parlait fort, avec de grands gestes!!! petite encore, j'étais impressionnée à tel point que je voulais entrer en politique.), il leur fallait le café ou le verre de rhum! ou la goutte!
Ce qu'il y a de sûr, c'est que maintenant, j'essaye d'utiliser mon langage avec précaution, maîtrise de soi, à la ressemblance de ma mère. Je laisse aller mes accents percutants.
Entre Rose, dont j'ai héritée mon troisième prénom, et moi, nous n'avions pas besoin de parler, nous nous comprenions, nous nous aimions. Elle intervenait très peu dans ma vie de jeune adolescente ou de jeune fille. Peut-être aurais-je aimé qu'elle me parle un peu plus? Mais, j'étais rebelle à l'époque (surtout envers mes quatre sœurs et frères plus âgés) et très sensible, pleurant facilement, à manier avec précaution! Elle me disait doucement de me marier, pas trop fort pour ne pas me faire de peine. Je me suis mariée tard, trop tard.
Une autre qualité, elle avait le sens de la beauté. Elle brodait, tricotait, crochetait avec un goût sublime. Tant de nappes encore ornent ma table. Elle a permis à ma soeur de développer son talent de dentellière. Elle avait hérité du carreau de ma grand-mère maternelle qui a terminé sa vie en faisant des gants au crochet, ou des dentelles, pour assurer sa nourriture quotidienne. A table, grâce à elle, mes enfants ont appris à manger tous les légumes avec un infini bonheur qui dure toujours. Contrairement à leurs cousins. Je n'ai jamais mangé d'aussi délicieuses gelées de framboises, groseilles, cassis, mûres ailleurs que chez ma mère. Je revois encore la casserole en fonte, les étamines pour filtrer le jus, et je ressens les effluves qui embaumaient la pièce. Et voilà les pots bien rangés trônant sur les étagères.
Intellectuelle? Non et pourtant, elle était capable d'une sagesse naturelle, innée, une philosophie de vie. Certaines de ses remarques me laissaient ébahies. Bonne élève, elle n'avait pas pu aller au de là de la classe de quatrième. Il fallait aider à la ferme de ses parents.
Le dernier jour de la vie de ma mère
La nuit du 29 septembre, un vent me soufflait : "il faut que j'aille voir ma mère".
J'ai mis un mot à mes enfants en leur laissant les consignes de la journée, leur steak à poêler, leurs cours à assurer.
Je suis arrivée dans le service de cardiologie où elle était hospitalisée. Elle avait mal au ventre et ne pouvait plus avaler ses cachets. Mais, elle était souriante et si contente de me voir. Pour la première fois de sa vie, elle s'est plainte d'une infirmière : "Elle est méchante". Mais elle en est restée là, sans animosité et rassurée de ma présence. Échographie, radiographies, je l'accompagnais partout, apercevant d'anciens collègues que je connaissais. Il faut l'opérer. Je discute avec le chirurgien. "On ne peut pas la laisser tranquille?". Maman a bien compris le souci de cet abcès au sigmoïde, a bien voulu se faire opérer. Personnellement, je ne le souhaitais pas, comme un pressentiment, mais ramenée à la raison par ma soeur aînée, je consentais. Maman pensait guérir et faisait déjà des plans sur la comète!
Dans la chambre, nous avons évoqué de très nombreux moments délicieux qu'ils (mon père et elle) avaient passés avec mes enfants encore petits. Pour Pierre-Alban, elle était sa confidente. Il lui racontait tout ce qui le passionnait, les sciences, ses activités dans son club d'astronomie, ses lectures, ses jeux en particulier les assemblages de Lego qui les faisaient tant rire. Evan n'en perdait pas une miette et participait aussi avec ce qui le caractérisait déjà : une grande force de caractère doublée d'une bonté inégalée. Emmanuel, déjà grand, partait davantage avec son père.Et ma mère me disait: "Avec Pierre-Alban, je ne m'ennuie jamais; qu'est-ce qu'il en sait des choses!"
Le fait de passer en revue tant de moments savoureux de la vie, ça m'a donnée une force en moi qui m'a certainement permis de traverser ce nouveau deuil.
Son cœur n'a pas supporté l'opération; les médecins l'ont maintenue en vie pendant un quart d'heure, le temps que nous lui disions "au-revoir" ou "à Dieu". Ma sœur avait, en effet, téléphoné à mes frères et sœurs.
Elle est partie sans bruit, sans alourdir la vie d'aucuns de ses enfants, comme elle l'avait souhaitée, en pleine conscience. Nous l'avons ramenée chez elle dans sa chambre et veillée deux jours. Je ne supportais que quelqu'un éteigne la lumière dans cette chambre où elle reposait en paix, neuf mois après la mort de mon père.
En écrivant, j'essuie une larme qui coule sans bruit au bord de l’œil. Maman, tu m'as permis d'aimer à mon tour, d'être sensible à la beauté de la nature d'abord, des êtres ensuite, à l'art. Grâce à toi, je crois que je suis devenue contemplative dans mes deux jardins, celui de Lyon et celui de la Drôme. Merci Maman.
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