mardi 21 mai 2013

Quand la Méditerranée nous grise; voilà Momo



Un vrai régal, ce Momo. Il se faufile, se fraye un passage comme un poisson au gré du courant porteur, longtemps au large, plus près de la rive maintenant. Il est bavard, converse aimablement avec une cliente graulenne, sans se soucier de l’attente de ses clients. Pressé, lui, jamais. C’est normal, le Midi est ce qu’il est. On ne l’aimerait pas autrement.
Nous faisons le tour des trois poissonneries à la recherche de thonine, car le thon est dorénavant, interdit à la pêche. Au Grau, tous les poissonniers ont déménagé. Ils se sont retirés des rues proches des quais. Le tourisme chasse les pêcheurs. Nous n’avons pas trouvé notre thonine et revenons vers Momo taillant toujours une bavette épicée de gestes manuels d’accompagnement. Momo attire les clients, amoureux de ce parler enchanteur, comme je le suis moi-même.
Momo est fier devant son étal de poissons de la Méditerranée. Protégés de la pollution par un voile transparent et parfaitement étiquetés : provenance, calibre, date de pêche ….
Il y a un quart de siècle que je viens voir les chalutiers arriver de la pleine mer et démêler leurs filets sur le port. Ma mémoire revoit tout. La mer s’agite en éclats contre la jetée,  les goélands tournoient et ricanent dans le ciel bleu, la brise marine sent l’iode, les poissons frétillent encore dans les filets, tout comme mes enfants pas plus hauts que trois pommes, mais eux c’est de joie. Je m’enivre de tous ces effluves de la vie pour qu’à Lyon, quand je ferme les yeux, mes souvenirs et mes sens se réveillent.               
Et je redis intérieurement, lentement, les correspondances de Charles Baudelaire:
« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».
Il y a un quart de siècle que je viens acheter une tranche de thon dans ce port. Ce thon, je l’achetais sur le quai, un jeune homme bien hâlé, au sourire étincelant, nous accueillait avec sa scie et débitait une belle tranche de thon que nous savourions basquaise sur la terrasse de la marina de Port-Camargue avec un verre de Gris.

- Il n’y a plus de relève. Dit Momo.
- Quand vous m’avez connu, je pêchais, la nuit sur le chalutier de mon patron et le jour, je vendais le produit de la pêche au magasin sur le quai. Et puis, mon patron a vendu son local, son bateau. Des problèmes de famille…dit-il, avec un geste évasif de la main.  Et comme j’avais mal au dos, j’ai pris un petit magasin pour me mettre à mon compte et vendre le poisson des autres chalutiers. J’étais dans la petite rue, un peu en retrait du port. Et puis, ils ont triplé mon loyer. C’était trop cher! ça ne se fait pas ! Allons ! Je ne pouvais plus gagner ma vie ! Alors, j’ai trouvé cet emplacement dans un coin du centre commercial. Tenez, regardez ces photos. Il en sort plusieurs, dont une sur le quai. Je lui demande alors, si je peux garder la photo qui me rappelle tant de souvenirs.
Bien sûr, il accepte. Je suis ravie. Encore une journée remplie de bonheur d’une convivialité paisible et sans vanité.
Il nous coupe trois tranches de thonine, nous parle encore.
- Mes quatre enfants s’éloignent tous du Grau. J’en ai un, en troisième année de médecine à Montpellier, un autre en sport. Ils sont bosseurs, je suis content.
Je lui réponds : -   Mon fils aussi est en médecine.
- C’est dur, ces études de médecine, mais il s’accroche, il est content.
- Jun-jun, mon fils, lui répond aussi qu’il est ravi.

          Nous repartons à la maison et savourons cette rencontre et la thonine sur la terrasse de Port-Camargue avec un verre de Gris, ce vin des sables qui n’a pas le même goût, siroté à Lyon.
                La photo est accrochée au mur. Encore un instantané qui restitue toute la magie d’un présent et empêche l’oubli.

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