Un vrai régal,
ce Momo. Il se faufile, se fraye un passage comme un poisson au gré du courant
porteur, longtemps au large, plus près de la rive maintenant. Il est bavard,
converse aimablement avec une cliente graulenne, sans se soucier de l’attente
de ses clients. Pressé, lui, jamais. C’est normal, le Midi est ce qu’il est. On
ne l’aimerait pas autrement.
Nous faisons
le tour des trois poissonneries à la recherche de thonine, car le thon est dorénavant,
interdit à la pêche. Au Grau, tous les poissonniers ont déménagé. Ils se sont
retirés des rues proches des quais. Le tourisme chasse les pêcheurs. Nous
n’avons pas trouvé notre thonine et revenons vers Momo taillant toujours une
bavette épicée de gestes manuels d’accompagnement. Momo attire les clients,
amoureux de ce parler enchanteur, comme je le suis moi-même.
Momo est fier
devant son étal de poissons de la Méditerranée. Protégés de la pollution par un
voile transparent et parfaitement étiquetés : provenance, calibre, date de
pêche ….
Il y a un
quart de siècle que je viens voir les chalutiers arriver de la pleine mer et
démêler leurs filets sur le port. Ma mémoire revoit tout. La mer s’agite en
éclats contre la jetée, les goélands tournoient
et ricanent dans le ciel bleu, la brise marine sent l’iode, les poissons
frétillent encore dans les filets, tout comme mes enfants pas plus hauts que
trois pommes, mais eux c’est de joie. Je m’enivre de tous ces effluves de la vie
pour qu’à Lyon, quand je ferme les yeux, mes souvenirs et mes sens se réveillent.
Et je redis
intérieurement, lentement, les correspondances de Charles Baudelaire:
« Les parfums,
les couleurs et les sons se répondent ».
Il y a un
quart de siècle que je viens acheter une tranche de thon dans ce port. Ce thon,
je l’achetais sur le quai, un jeune homme bien hâlé, au sourire étincelant,
nous accueillait avec sa scie et débitait une belle tranche de thon que nous
savourions basquaise sur la terrasse de la marina de Port-Camargue avec un
verre de Gris.
- Il n’y a plus de relève. Dit
Momo.
- Quand vous m’avez connu, je
pêchais, la nuit sur le chalutier de mon patron et le jour, je vendais le
produit de la pêche au magasin sur le quai. Et puis, mon patron a vendu son
local, son bateau. Des problèmes de famille…dit-il, avec un geste évasif de la main. Et comme j’avais mal au dos, j’ai pris un
petit magasin pour me mettre à mon compte et vendre le poisson des autres
chalutiers. J’étais dans la petite rue, un peu en retrait du port. Et puis, ils
ont triplé mon loyer. C’était trop cher! ça ne se fait pas ! Allons ! Je ne
pouvais plus gagner ma vie ! Alors, j’ai trouvé cet emplacement dans un coin du
centre commercial. Tenez, regardez ces photos. Il en sort plusieurs, dont une
sur le quai. Je lui demande alors, si je peux garder la photo qui me rappelle
tant de souvenirs.
Bien sûr, il
accepte. Je suis ravie. Encore une journée remplie de bonheur d’une
convivialité paisible et sans vanité.
Il nous coupe
trois tranches de thonine, nous parle encore.
- Mes quatre enfants s’éloignent
tous du Grau. J’en ai un, en troisième année de médecine à Montpellier, un
autre en sport. Ils sont bosseurs, je suis content.
Je lui réponds : - Mon fils aussi est en médecine.
- C’est dur, ces études de
médecine, mais il s’accroche, il est content.
- Jun-jun, mon fils, lui répond
aussi qu’il est ravi.
Nous repartons à la maison et
savourons cette rencontre et la thonine sur la terrasse de Port-Camargue avec
un verre de Gris, ce vin des sables qui n’a pas le même goût, siroté à Lyon.
La photo est accrochée au mur.
Encore un instantané qui restitue toute la magie d’un présent et empêche l’oubli.
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